Une Histoire d’Insurrection, de Trahison et de Coup d’Etat
Les événements qui se sont succédés la dernière semaine d’octobre de 2014 au Burkina Faso ont surpris le monde entier, à commencer par les Burkinabè eux-mêmes (439). Celui qui fut durant trois décennies l’un des acteurs les plus influents de la scène africaine selon le quotidien français Le Monde (440), démissionna le 31 octobre suite à une révolte populaire contre un président démocratiquement élu et un coup d’État de son chef d’Etat-major, général des armées, Honoré Traoré qui sera à son tour déchu la même soirée par le lieutenant-colonel Isaac Zida (441) : The Economist.
La question de la révision constitutionnelle
Blaise Compaoré avait pris le pouvoir en octobre 1987 (443). Il a été élu au suffrage universel en 1991 puis réélu à trois reprises lors de scrutins de plus en plus ouverts : Freedom House (444).
Suite à la révision constitutionnelle de 2000, la Constitution prévoyait désormais une limite du nombre de mandat présidentiel, ce qui empêchait le Président Compaoré de se représenter aux élections présidentielles prévues en novembre 2015 (445).
L’amendement de l’article 37 de la Constitution, qui limite les mandats présidentiels à deux quinquennats, est néanmoins autorisé par la Constitution. En effet, l’article 164, alinéa 3 de la Constitution prévoit la possibilité de la réviser, soit par référendum, soit en obtenant trois quarts des votes des députés de l’Assemblée nationale. Dans ce second cas, le gouvernement devait donc recueillir 96 votes favorables sur les 127 députés (446).
La Charte africaine de la démocratie des élections et de la gouvernance de l’Union Africaine (UA), préconise de limiter l’amendement de la Constitution, sans pour autant l’interdire, y compris par référendum. Elle stipule, dans son l’article 10.2., que « Les États membres de l’UA doivent s’assurer que le processus d’amendement ou de révision de leur Constitution repose sur un consensus national obtenu, si nécessaire, par référendum (447). »
Le 7 juillet 2013, des marches importantes se sont tenues à Ouagadougou et à Bobo-Dioulasso, la deuxième plus grande ville du pays, réclamant l’amendement de la Constitution afin que le Président Compaoré puisse participer aux élections de 2015.
Blaise Compaoré n’a jamais caché son opinion selon laquelle le Burkina Faso avait encore besoin d’un homme fort à sa tête (448), pour faire face à l’instabilité politique qui gagnait les pays voisins et les menaces terroristes qui se multipliaient dans le Sahel (449), avant de passer la main à la nouvelle génération de femmes et hommes politiques.
» Les États membres de l’U.A. doivent s’assurer que le processus d’amendement ou de révision de leur Constitution repose sur un consensus national obtenu, si nécessaire, par référendum. »
La Charte de l’Union Africaine
Le 12 décembre 2013, à l’occasion de la fête de l’indépendance du Burkina Faso à Dori, dans le nord du pays, le Président Compaoré annonçait lors d’une conférence de presse qu’il envisageait d’organiser un référendum si la classe politique ne parvenait pas à s’accorder s’il convenait d’amender– ou non – l’article 37 de la Constitution (450).
Il souhaitait passer la main à une nouvelle génération de leaders politiques, plus jeunes, pour lui succéder, en écartant l’establishment politique existant, composé de ses anciens ministres comme Roch Kaboré, l’actuel chef d’Etat et Zéphirin Diabré, le leader de l’opposition, pour instaurer une véritable ère nouvelle après son départ. Pour ces raisons, il avait besoin d’un dernier mandat supplémentaire,considérait-il.
Le schisme entre Compaoré et les caciques du pouvoir
De ce fait, trois semaines plus tard, le 5 janvier 2014, les caciques du parti au pouvoir – Roch Kaboré, alors président de l’Assemblée nationale pendant plus de 10 ans et souvent considéré comme le successeur de Blaise Compaoré, feu Salif Diallo, le tout-puissant ancien ministre de l’Agriculture de Compaoré et son bras droit pendant plus de 20 ans avant d’être écarté, et Simon Compaoré, alors maire de Ouagadougou pendant 17 ans – le quittaient pour créer un nouveau parti, le Mouvement du peuple pour le progrès (MPP) (451).
Puis, après que certains membres du gouvernement eurent laissé entendre qu’une révision constitutionnelle serait envisageable par référendum, un immense événement pro-référendum fut organisé le 20 juin 2014, dans le plus grand stade de Ouagadougou, d’une capacité de 35 000 personnes, bondé ce jour-là (452).
Le Conseil des sages recommande une transition de deux ans
Pour préserver l’harmonie et la compréhension mutuelle entre les citoyens de tout bord politique confondu, un mérite reconnu à Blaise Compaoré tant par ses admirateurs que par ses détracteurs, le Président convoquait un Conseil des sages qui, suivant la tradition africaine, était chargé de faciliter le dialogue et le consensus entre la classe politique, les personnalités influentes et la société civile autour de cette question d’intérêt national, à savoir la modification – ou non – de l’article 37 de la Constitution (453).
Ce conseil consultatif était composé de diverses personnalités indépendantes et respectées. Il était dirigé par l’ancien chef d’État, le médecin-commandant Jean-Baptiste Ouédraogo (454).
Le Conseil des sages s’est heurté au boycott de l’opposition. Compte tenu de ce boycott et après avoir entendu toutes les autres parties prenantes, le Conseil des sages décidait de recommander une transition politique progressive, d’une durée de 2 ans, pour préserver la stabilité et les institutions du pays ainsi que sa croissance économique.
Suite au rejet des conclusions du Conseil des sages par une partie de la classe politique, le Président Compaoré rencontrait l’ensemble des leaders politiques pour leur demander de trouver un consensus qui garantirait au Burkina une transition démocratique (455). Ce dialogue n’a pas abouti (456).
L’Assemblée nationale en cendres
De ce fait, le 21 octobre 2014, le gouvernement annonçait qu’il soumettrait à l’Assemblée nationale un projet d’amendement de l’article 37 de la Constitution, assuré du soutien de l’Alliance pour la démocratie et la Fédération/Rassemblement démocratique africain (ADF/RDA), le troisième parti politique burkinabè (457).
Grâce à ce soutien, Blaise Compaoré pouvait compter sur 99 votes favorables : 70 votes du Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP), le parti au pouvoir, 18 votes de l’ADF/RDA et 11 de la Convention des forces républicaines (CFR) (458). Si les députés de ces partis et groupes politiques suivaient les instructions de vote, le projet d’amendement serait approuvé par plus de 96 votes, soit la majorité qualifiée nécessaire pour modifier la Constitution sans recourir au référendum (459).
Suite à l’annonce du projet de révision de la Constitution, des protestations ont eu lieu à Ouagadougou les 21 et 22 octobre 2014. Les accrochages et les affrontements entre les forces de l’ordre et les opposants à la modification de la Constitution s’intensifiaient le 27 octobre à Ouagadougou et à Bobo-Dioulasso. Le leader de l’opposition Zéphirin Diabré (UPC) appelait la population à défiler en signe de protestation le 28 octobre (460).
Toutes les manifestations, fussent-elles de masse, furent autorisées par le gouvernement, chose assez rare sur le continent africain et dans le monde.
Certains considèrent même que, ironiquement, la chute du Président Compaoré résulta pour partie de sa politique d’ouverture pour faire émerger une presse libre et critique, y compris sur les réseaux sociaux, une société civile dynamique et un débat politique riche, de plus en plus nourri par les frustrations de la jeunesse urbaine dont la croissance explose (461).
Le CDP, le parti au pouvoir, ne disposant pas de la majorité nécessaire pour faire passer seul l’amendement de la Constitution, le débat prévu le 30 octobre à l’Assemblée nationale s’annonçait houleux et riche en marchandages politiques avant l’éventuelle adoption finale (462).
Les délibérations n’ont jamais pu s’achever et le vote parlementaire n’a pas eu lieu car le 30 octobre, jour de présentation du projet controversé, une foule de manifestants faisait irruption dans l’hémicycle, y mettant le feu. L’incendie provoqua la fuite des députés. L’Assemblée nationale, des hôtels, des magasins et des habitations étaient détruits par le feu par cette vague de protestation aussi soudaine que violente (463).
« La situation est incontrôlable parce que les manifestants ne veulent écouter personne »
Alassane Ouédraogo, député de l’opposition
Ce jeudi 30 octobre, les tensions atteignaient un tel niveau que même l’annonce de l’abandon du projet de révision constitutionnelle faite par le Premier ministre Luc-Adolphe Tiao, ne réussissait pas à calmer la foule de protestataires, qui saccageait les locaux de la Radiodiffusion Télévision du Burkina (RTB), avant de brûler la mairie de la capitale et plusieurs autres bâtiments publics (464).
Peu de temps après, des bandes de jeunes s’attaquaient aux résidences privées d’hommes politiques (465) telles que celle du Dr. Assimi Kouanda, historien, Secrétaire Exécutif du parti au pouvoir CDP et proche de Compaoré, dont les centaines de manuscrits historiques uniques sur l’Islam dans le Sahel partaient en flammes et ses chevaux étaient brûlés vifs.
Alassane Ouédraogo, un des députés de l’opposition (Le Faso Autrement), déclarait à l’agence Associated Press:« la situation est incontrôlable parce que les manifestants ne veulent écouter personne » (466). Les explosions de violence touchaient également d’autres villes du pays, notamment Bobo-Dioulasso où de nombreux magasins et commerces étaient pillés (467). En moins de 48 heures, 14 biens publics et 260 biens privés étaient pillés puis détruits par des incendies volontaires. Cet immense chaos, les brûlures et asphyxies par les flammes et les complications résultant des blessures par balles provoquèrent 19 pertes en vie humaine (468). Par ailleurs, 5 personnes sont décédées à la Maison d’arrêt de correction de Ouagadougou le 30 octobre, suite à une tentative d’évasion, alourdissant le bilan tragique à 24 morts.
Le soir du 30 octobre 2014, les violences se poursuivaient malgré la proclamation de l’état d’urgence sur tout le territoire national par le Président. Les manifestants gagnaient le palais présidentiel de Kosyam, réclamant le départ de Blaise Compaoré. Ce dernier recevait trois d’entre eux dans son bureau, dont Hervé Ouattara, le leader de la Coalition anti-référendum. A leur demande de démission immédiate, le Président répondait que la responsabilité de sa charge et son devoir en tant que Président lui imposaient de préparer sa transition, en faisant sortir le pays du chaos dans lequel il se précipitait. La délégation repartait insatisfaite (469).
Ensuite, le Chef d’Etat-major général des armées, le général Honoré Traoré, prenait les devants en déclarant la dissolution de l’Assemblée nationale et du gouvernement. Un couvre-feu national fut instauré de 19h à 6h. Il promit un gouvernement d’union nationale et l’organisation d’élections dans un délai de douze mois (470).
Après quelques heures de confusion, personne ne sachant où le Président se trouvait – des rumeurs folles circulaient sur son compte sur les réseaux sociaux tandis que les informations dans les médias parlaient de coup d’État (471), Blaise Compaoré faisait une déclaration à la télévision nationale. Il confirmait la dissolution du gouvernement, annonçait la levée de l’état de siège et indiquait qu’il allait entamer des discussions avec l’opposition politique et la société civile en vue de former un gouvernement d’union nationale chargé d’organiser des élections.
Le Président annonçait également l’abandon du projet de révision constitutionnelle et promettait qu’à la fin de la période de transition qu’il superviserait, il transmettrait le pouvoir à son successeur (472). Le Département d’État américain saluait cette décision (473).
Malgré les appels au calme, des manifestations pour le départ immédiat du Président se déroulaient le vendredi 31 octobre 2014 (474). Bénéwendé Sankara, l’un des chefs de l’opposition, déclarait que le départ immédiat du Président était une condition non-négociable (475).
« Ils voulaient que je parte, je suis parti. Si le pays va mieux, et c’est tout ce qui m’importe, ils auront eu raison. L’Histoire nous le dira »
Blaise Compaoré, le 31 octobre 2014
Le pillage s’intensifiait, gagnant différentes régions du Burkina Faso. Les protestataires, les émeutiers et les membres de l’opposition, qui avaient appelé aux manifestations massives sur les réseaux sociaux, finissaient par atteindre leur objectif. À midi, dans un communiqué officiel, le Président Compaoré annonçait sa démission pour « préserver les acquis démocratiques, ainsi que la paix sociale » et déclarait « la vacance du pouvoir en vue de permettre la mise en place immédiate d’une transition ». Il précisait également que la Constitution prévoyait que le Président de l’Assemblée nationale assurait la transition et que celle-ci devait « aboutir à des élections dans un délai de 90 jours maximum (476).»
Finalement, le compromis soigneusement élaboré n’a pas paru suffisant aux yeux de certains membres de l’opposition, qui appelaient les foules, sur les réseaux sociaux, à descendre dans les rues calcinées de la capitale le vendredi 31 octobre.
Face à la perspective d’une vague de violence encore plus importante (477), Blaise Compaoré prit la décision de démissionner, en appelant dans son discours à la nation, le peuple burkinabè « à la retenue et à l’unité afin que les acquis démocratiques soient préservés aux Burkina et que l’avenir des générations futures ne soit pas hypothéqué par cette crise (478). »
La prise du pouvoir par l’armée
Sa démission a été immédiatement suivie par la prise de pouvoir inconstitutionnelle de l’armée (479). D’abord, par le chef d’Etat-major des armées, le général Honoré Traoré (480) qui le même soir était remplacé par le lieutenant-colonel Isaac Zida. Ce dernier s’autoproclamât à son tour, le 1er novembre le chef d’État de la transition (481). Les déclarations du général Nabéré Honoré Traoré sont « caduques », ajoutait le lieutenant-colonel Zida lors d’une interview (482). Le Burkina Faso aura connu trois dirigeants en moins de vingt-quatre heures, entre vendredi 31 octobre et samedi 1er novembre.
Le 3 novembre 2014, l’Union Africaine (UA) appela à mettre en place une « transition dirigée par des civils et consensuelle. »
« L’Union Africaine déplore la déclaration de l’armée à travers laquelle elle a suspendu la Constitution et a pris le pouvoir, constituant un coup d’État (483) »
L’Union Africaine, le 11 novembre 2014
Les médiations de Compaoré dans plusieurs conflits dans la région, avaient placé son pays comme un partenaire incontournable dans la résolution de crises en Afrique (484). Le Burkina Faso considéré comme l’un des rares pays stables dans une région secouée par des crises sécuritaires, politiques et sanitaires, venait à son tour de basculer (485).
Dans une interview accordée à Jeune Afrique le 31 octobre 2014, Compaoré disait à propos de sa démission « Ils voulaient que je parte, je suis parti. Si le pays va mieux, et c’est tout ce qui m’importe, ils auront eu raison. L’Histoire nous le dira (486). »