1987-1990 La Rupture

Octobre 1987, La Rupture Définitive

Lorsque Sankara voulut s’attaquer à toutes les formations politiques de gauche telles que les syndicats, un conflit irrémédiable l’opposa à Compaoré qui marqua son opposition ferme et définitive (137).

Compaoré voulut désarmer les CDR. De son point de vue, la situation n’avait pas évolué dans le bon sens. Le pays était isolé, épuisé politiquement et économiquement. En voulant ridiculiser la misère et les pénuries qui ravageaient l’URSS de Léonid Brejnev, le Chancelier allemand Helmut Schmidt prononça ces fameuses paroles (138):

« L’URSS, c’est la Haute-Volta avec des missiles nucléaires »
Le Chancelier allemand Helmut Schmidt
blaise compaore-Thomas Sankara Blaise Compaore Burkina Faso 1987

1987, With or Without You

La révolution était en panne. Dans son discours adressé le 2 octobre 1987, à l’occasion de l’anniversaire de la proclamation du Discours d’orientation politique (D.O.P.), Sankara demanda aux 45 CDR de réaffirmer leur soutien à sa politique. Mais la flamme révolutionnaire était en train de s’éteindre ; seuls 4 des 45 CDR répondirent présents. La Révolution avait échoué, tant dans sa forme que dans sa mise en œuvre. Au cours de la réunion du Conseil National de la Révolution (CNR) du 4 octobre, le conseil demanda à Sankara de repenser sa politique afin de rectifier la feuille de route de la Révolution. Il fallait soit totalement la revoir, soit l’abandonner car elle était vouée à l’échec. Sankara refusa (139).

Ce mois d’octobre s’amorce alors avec une véritable guerre des tracts ; les prédécesseurs des campagnes sur les réseaux sociaux d’aujourd’hui. Le climat de surveillance et de méfiance au sein même des membres du CNR s’intensifia, à tel point que la rumeur d’une dangereuse scission entre les dirigeants se propagea dans les rues de Ouagadougou (140). Comme le relate l’hebdomadaire Jeune Afrique : « Dans ce contexte électrique, une décision et une phrase ont peut-être mis le feu aux poudres. »

Le 14 octobre, en l’absence de Compaoré, le puissant ministre Ernest Nongma Ouédraogo et cousin de Thomas Sankara, fît adopter en conseil de ministres, la création d’une Force d’intervention la FIMATS, exclusivement sous l’ordre de son ministère, celui de l’Administration territoriale et de la sécurité. Le franco-burkinabè Vincent Askia Sigué, « l’homme le plus craint du Faso » et souvent également appelé « le mercenaire », devait prendre la tête de cette force, disposant alors de centaines d’hommes sous ses ordres.

« Nous nous sommes occupés de nos ennemis, nous devons maintenant nous occuper de nos amis »
Ernest Nongma Ouédraogo, le 14 octobre 1987
Ministre de l’Administration territoriale et de la sécurité

 

Aux ministres présents ce mercredi 14 octobre souhaitant comprendre la raison de la création d’une telle Force, étant donné l’existence de structures similaires, le Ministre Ouédraogo rétorquât : « Nous nous sommes occupés de nos ennemis, nous devons maintenant nous occuper de nos amis. » La FIMATS, serait-elle une brigade anti putsch ou une milice au service d’un homme ? La méfiance était au sommet et la tension palpable. Dans la journée, du matériel militaire est transféré d’un camp à un autre.

Les circonstances exactes de la mort du Président Sankara et de douze de ses hommes, le 15 octobre 1987, sont encore à ce jour sujettes à diverses interprétations (141).

« Le chef révolutionnaire du Burkina Faso fut tué le 15 octobre 1987, peut-être après qu’il ait ordonné à ses fidèles soldats d’éliminer son allié supposé. Il cherchait à redonner de la dignité à son pays »
The Economist (142)

Les propos du parlementaire italien Marco Pannella, en 1984 lors de sa réunion avec le Président Thomas Sankara, permettent de se faire une idée sur la fin du CNR : « Monsieur le Président, écoutez-moi bien. Je viens juste de vous connaître. Je ne connais pas Blaise Compaoré et les autres dirigeants. Si vous refusez d’élaborer et d’adopter une constitution et de vous faire élire, sachez que vous vous tuerez entre vous. »

« Les morts seront présentés comme les bons et les vivants comme les méchants, par les esprits simples…
La vérité sera ailleurs. Elle est inscrite dans la logique de votre action commune. Vous êtes en train de jouer une tragédie grecque »
Marco Pannella
blaise compaore-Thomas et Blaise

Thomas et Blaise

Alors que certains soupçonnent que cet assassinat a été commandé par le Président de la République Française François Mitterrand (143), Compaoré a décrit la mort de Thomas Sankara comme un « accident » (144). L’allégation que certains pays furent les instigateurs d’un coup d’état reste très controversée (145).

Le violent affrontement entre deux camps militaires d’inspiration marxiste provoqua «une chasse aux coupables» sans fin dans laquelle chaque camp accuse l’autre d’avoir planifié un complot meurtrier. Cela perdure encore de nos jours, alimentant par là même le mythe de deux jeunes révolutionnaires brillants, Blaise et Thomas, et de la fin tragique de leur amitié (146). Tout en confirmant le vieil adage « La Révolution est comme Saturne : elle dévore ses propres enfants. »

Mais beaucoup de critiques légitimes ont été exprimées quant au manque d’information du nouveau régime sur la mort de Sankara. Quelque temps plus tard, lorsqu’il fut interrogé sur le déroulement des événements du 15 octobre 1987, Compaoré répondit : « Ce qui nous est arrivé n’était guère différent de ce qui se passait ailleurs dans le monde. Les régimes totalitaires et liberticides finissent toujours mal. »

« La Révolution fut une expérience unique, mais elle a montré ses limites. Les révolutions de ce genre qui ne parviennent pas à maintenir la liberté sont vouées à l’échec.
Si l’on prend en compte le contexte d’urgence de l’époque, on peut comprendre pourquoi l’enquête sur l’assassinat de Thomas ne fut pas concluante. Le Burkina n’est pas le seul pays à avoir connu de telles affaires non-résolues (147) »
Blaise Compaoré

La Révolution « rectifiée »

blaise compaore- lingani et zongo

Compaoré saluant Lingani et Zongo

Blaise Compaoré devient président du Faso le 15 octobre 1987 suite à l’avènement du mouvement de rectification. La Révolution fut « rectifiée » sans couvre-feu, sans tribunal d’urgence, et sans réaction des populations, épuisées par une idéologie ayant entraîné une grave crise économique et par un climat de coup d’état perpétuel qui aura duré plus de vingt ans (148).

Le Président Compaoré rectifia la révolution en indemnisant les victimes de violences politiques et de licenciement abusif, et en réhabilitant les 1 300 enseignants que le CNR avait renvoyés le 22 mars 1984 pour avoir fait grève ainsi que les autres 2 000 fonctionnaires licenciés pendant la Révolution (149). Par ailleurs, il ordonna le désarmement et la dissolution immédiate des CDR (150).

Compaoré fut parfois dur, voire sans pitié. Ainsi, Henri Zongo et Jean-Baptiste Lingani, deux autres personnages-clé de la Révolution de 1983, s’opposèrent catégoriquement au désarmement des CDR, puis à la suppression de ces milices civiles. Le 18 septembre 1989, le Chef d’Etat-Major général des armées, le Commandant Jean Baptiste Lingani et le Capitaine Henri Zongo ordonnèrent à l’armée de bloquer l’avion du Président du Faso et de l’arrêter à son retour d’une visite de travail en Russie, Yémen, Chine et Japon. L’avion présidentiel fut immobilisé en bout de piste mais l’armée refusa de se joindre au putsch. Les deux officiers furent traduits devant le tribunal militaire, inculpés pour mutinerie, et exécutés (151). Plus tard, Compaoré se décrivit en ces mots (152) :

« Je ne suis ni un ange, ni un démon »

Dès le départ, il invita tous les citoyens, sans exclusive, à participer à la création de partis politiques et à l’élaboration d’une nouvelle Constitution (153).

La chute du Mur de Berlin le 9 novembre 1989 venait de marquer l’Histoire. En préconisant le multipartisme, Compaoré avait bien senti l’air du temps et devancé le fameux discours de la Baule de Mitterrand du 20 juin 1990, incitant les chefs d’État africains à embrasser la démocratie (154).

1987-1990, le Burkina Faso devance La Baule

Le nouveau régime appelé Front Populaire (FP) instaura une période de transition. Le Président Compaoré initia immédiatement un processus de démocratisation qui donna naissance à de multiples partis politiques au cours des années 1988 et 1989 (155). Alternant entre démocratisation et répression, il consolida son pouvoir en créant, en avril 1989, « l’Organisation pour la Démocratie Populaire/Mouvement du Travail » (ODP/MT), réunissant plusieurs groupuscules de gauche (156).

Une volonté politique commune vit le jour entre les différents partis, de gauche comme de droite afin d’aboutir à la rédaction d’un projet de Constitution en 1990 avec le soutien des chefs traditionnels, des associations pour les droits des femmes, des chefs religieux et autres responsables.

Ce travail remarquable ainsi qu’une table ronde rassemblant 22 partis politiques, permirent l’adoption de la Constitution par référendum, le 2 juin 1991 (157). L’avènement de la Quatrième République ouvrit la voie à l’organisation de sa première élection présidentielle.

Le respect de la Constitution versus Conférence Nationale Souveraine

blaise compaore- rectification revolutionBlaise Compaoré, Gérard Kango du “Mouvement de Regroupement Voltaïque” (MRV), Ram Ouédraogo de “l’Union des Verts pour un Développement du Burkina (UVDB)”, le fils du premier président Hermann Yaméogo avec “l’Union nationale pour la Démocratie et le Développement (UNDD)” et l’intellectuel progressiste Joseph Ki-Zerbo de “l’Union Progressiste Voltaique”, furent les candidats en lice pour les élections présidentielles. Tous les candidats et leurs formations politiques sauf Compaoré abandonnèrent le principe de suffrage universel pour élire le nouveau président en se regroupant autour du concept de Conférence Nationale Souveraine (158). Celle-ci était une alternative française au suffrage universel, permettant de nommer « en huis clos » un premier ministre parmi les figures emblématiques existantes.

« Le suffrage universel est le seul moyen de stabiliser et démocratiser le pays »
Blaise Compaoré, 1991

Selon Compaoré, « le suffrage universel était le seul moyen de stabiliser et démocratiser le pays. » Mais les autres candidats à la présidentielle, qui avaient quitté la course, ne partageaient pas cet avis. Ils créent le 13 septembre 1991, le groupe de Coordination des Forces Démocratiques (CFD) exigeant la Conférence Nationale Souveraine et l’organisation des élections législatives avant les présidentielles (159). La réaction de l’autre camp ne tardait pas. L’Alliance pour le respect et la défense de la constitution (ARDC) fut créée le 12 octobre 1991, avec à sa tête Soumane Touré, un haut responsable de l’appareil d’État depuis la Révolution d’août 1983 (160). Selon l’ARDC, il fallait conserver et agir dans le cadre de la Constitution déjà adoptée par référendum (161).

Des propositions du Président Compaoré de trouver un consensus à travers l’organisation d’une table ronde sur la conférence souveraine pour apaiser les tensions n’ont pas abouti (162). Résultat final, Blaise Compaoré refusant d’organiser une Conférence Nationale Souveraine, fut le seul candidat à se présenter aux élections présidentielles de décembre 1991 (163).

Premières élections présidentielles et législatives de la IV République

Blaise Compaoré a été élu président de la République le 1er décembre 1991. Avec le retour à l’ordre constitutionnel et au multipartisme en 1991, il remporte les premières élections démocratiques avec 86,19% des voix : Freedom House (164). Seulement 25 % des burkinabè se sont rendus aux urnes, lasses de ce climat de polémiques et de tensions qui semblait poursuivre le pays depuis son indépendance.

L’opposition ayant boycottée le scrutin, le Président Compaoré, en signe de bonne volonté, invita les partis politiques à le rejoindre pour former un gouvernement d’union nationale (165). Les partis acceptèrent sa proposition. Des élections législatives eurent lieu en mai 1992. Le parti ODP/MT de Compaoré obtient 78 sièges des 107 sièges de l’Assemblée Nationale (166).

Sous Compaoré (1987-2014), le Burkina Faso consolida ses institutions démocratiques lui conférant la légitimité pour promouvoir la paix et la stabilité en Afrique (167). Ouagadougou devint ainsi un carrefour de grandes rencontres et conférences internationales.