Affaires & Accusations

blaise compaore-thomas sankara blaise compaore revolutionLe gouvernement du Président Compaoré traversa deux crises majeures en 25 ans : l’Affaire Norbert Zongo et la crise de 2011. Mais le décès brutal de son prédécesseur, le Président Thomas Sankara, déclencha une controverse politique qui, de nos jours encore, continue d’affecter Blaise Compaoré (374). Thomas Sankara a été tué en 1987 lors du coup d’État qui amena Blaise Compaoré à la présidence du Burkina Faso jusqu’en 2014.

L’Affaire Thomas Sankara

Le 5 avril 2006, le Comité des Droits de l’Homme de l’ONU rejeta et classa selon sa décision n° CCPRI/C/86/D/1159/2003, six des huit arguments avancés par la partie accusatrice, représentée par la veuve de Sankara. Madame Sankara accusait l’État du Burkina Faso de ne pas avoir enquêté sur le décès de Thomas Sankara, et à fortiori, de ne pas avoir poursuivi les coupables (375). Ces griefs ne furent pas contestés par l’État (376).

Selon le Pacte international relatif aux droits civiques et politiques (377) ratifié par le Burkina Faso en 1999, seuls deux des huit éléments avancés par l’Accusation furent maintenus par la Commission des Nations Unies, d’après les articles 7 et 14 traitant de l’interdiction de la torture et de l’égalité devant la justice (378).

La décision de la Commission des Nations Unies fut la suivante : l’État du Burkina Faso fut tenu de confirmer le lieu d’inhumation de Thomas Sankara, et de compenser Madame Sankara pour le traumatisme subi (379). La Commission des Nations Unies ordonna à l’État du Burkina Faso de lui fournir, sous 90 jours, les détails des mesures prises par le Burkina Faso concernant l’identification officielle du lieu d’enterrement de Thomas Sankara, et les indemnités prévues en compensation du préjudice moral causé à sa veuve (380).

Le Burkina Faso s’est conformé à la décision de la Commission des Nations Unies (381).

Pendant le régime de transition, le tribunal militaire burkinabè lança le 4 décembre 2014, un mandat d’arrêt international à l’encontre de Blaise Compaoré, qui s’était exilé en Côte d’Ivoire, après avoir démissionné le 31 octobre 2014 (382). Il fut mis en examen pour son implication présumée dans l’assassinat de Thomas Sankara, dans le cadre de l’enquête ouverte fin mars 2015 par les autorités de transition du Burkina Faso. Le mandat d’arrêt international fut annulé le 28 avril 2016 par la Cour Suprême (383).

L’Affaire Norbert Zongo

Les allégations sur le meurtre de Norbert Zongo ont été l’une des rares fois où le pouvoir de Compaoré a été véritablement contesté et inquiété (384).

Le 13 décembre 1998, de violentes protestations secouèrent le pays suite à l’assassinat du journaliste Norbert Zongo (385). Zongo dirigeait son propre hebdomadaire, L’Indépendant, connu du public ouagalais pour ses enquêtes controversées. Dans un article paru plus tôt cette année-là, le journal accusait le Régiment de sécurité présidentielle (RSP) d’avoir torturé à mort David Ouédraogo, le chauffeur de François Compaoré, le frère du Président, le 18 janvier 1998 dans leurs baraquements (386). Des membres du RSP enquêtaient sur le vol d’une somme en espèces ayant appartenu à l’épouse de François Compaoré (387).

Suite à la mort violente de Zongo, l’administration Compaoré traversa la pire crise politique qu’elle ait connue jusqu’alors (388).

Depuis les années 1980, les Burkinabè étaient las des violences et des meurtres commis par les soldats et les civils des Comités pour la Défense de la Révolution (CDR) sous les régimes militaires (389). Le sentiment de frustration augmentait à mesure que les forces armées et de l’ordre continuaient de se comporter violemment, en toute impunité.

D’importantes manifestations furent organisées le 13 décembre 1998, par l’opposition et les organisations des droits de l’homme pour protester contre la violence et l’impunité (390). Au même moment, le Président Compaoré assistait à un sommet sur la situation des réfugiés au Soudan. Dès son retour à Ouagadougou, il instaura une Commission d’Enquête Indépendante (CEI) composée de personnalités respectées pour leurs valeurs morales (391). Il demanda à Robert Ménard, fondateur et président de Reporters sans frontières, de faire partie de la Commission, lequel accepta (392).

Le meurtre de Zongo ouvrit une brèche dans laquelle s’engouffrèrent les partis d’opposition, les organismes des droits de l’homme, les groupes de citoyens et les représentants des médias pour mettre en évidence le manque d’implication du gouvernement dans la répression des violences commises par ses propres forces armées (393). Les manifestations continuèrent pendant la première partie de l’année 1999.

Le rapport de la CEI conclut ainsi : « En ce qui concerne les auteurs du crime, la Commission d’Enquête Indépendante ne dispose pas de preuves formelles permettant de les désigner. Elle a cependant relevé des contradictions et des incohérences dans les auditions d’un certain nombre de personnes suspectées, en relation avec leur emploi du temps du 13 décembre 1998. Cela n’en fait pas des coupables mais des sérieux suspects (394). »

Les six suspects appartenaient au Régiment de Sécurité Présidentielle (RSP). Le RSP est composé de plus de 1 200 hommes dont 150 hommes étaient affectés à la sécurité du président de la République. Les autres s’occupaient notamment de la lutte contre le terrorisme.

En 1999, la révolte contre le gouvernement s’intensifia. Le parti au pouvoir CDP rejeta les résultats de la Commission sous prétexte qu’ils résultaient de « préoccupations partisanes ». Mais en réaction aux conclusions de la Commission, lors de son allocution à la nation, le président Blaise Compaoré annonça « la réorganisation et la réaffectation de casernes pour le RSP. » Il annonça également sa ferme intention de faciliter le cours de la justice qui, selon lui, a pour mission de « résoudre cette affaire de manière définitive. »

En parallèle des procédures judiciaires, et afin d’apaiser les violentes manifestations du Collectif des organisations démocratiques de masse et de partis politiques, Compaoré créa le Collège des sages le 21 mai 1999, dirigé par l’archevêque de Bobo-Dioulasso Mgr. Anselme Sanou, et composé de 16 membres dont 3 anciens chefs d’État : Sangoulé Lamizana, Saye Zerbo et Jean-Baptiste Ouédraogo, tous retraités de l’armée, afin de créer un environnement propice à la réconciliation et la paix (395).

Le Collège des sages avait pour tâche de formuler des recommandations afin d’instaurer un climat de réconciliation et de paix (396). Suite au rapport du Collège des sages, un gouvernement d’unité nationale fut mis en place (397) et en novembre 1999, Compaoré créa deux nouveaux organismes : le Conseil consultatif sur les réformes politiques et la Commission vérité justice pour la réconciliation nationale, chargés de faire des propositions concrètes pour résoudre la crise persistante (398).

La mort de Zongo engendra d’importantes réformes politiques. Une Commission électorale indépendante fut créée et le code électoral revu (399). Un système de bulletin unique fut également mis en place afin d’améliorer l’exactitude et la transparence des dépouillements officiels de vote pour les élections législatives de 2002 et à venir (400).

Par ailleurs, les partis politiques ayant un candidat aux présidentielles de 2005 purent bénéficier de financements publics, et les dirigeants de l’opposition furent désormais nommés au poste de troisième vice-président à l’Assemblée nationale.

Le décès tragique de Zongo en 1998 eut pour conséquence de mettre en lumière certaines défaillances dans l’administration Compaoré, et donna lieu à des élections législatives plus transparentes et équitables en 2002 (401).

La Journée nationale du Pardon

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La Journée du Pardon, entouré des anciens chefs d’Etat et des représentants des familles de victimes, Ouagadougou, le 30 mars 2001

Suite aux recommandations du Conseil des sages, Compaoré organisa également la Journée nationale du Pardon dans le but de rectifier les erreurs commises par tous les régimes ayant été au pouvoir au Burkina.

Lors de cette Journée du 30 mars 2001 à laquelle participèrent les trois anciens présidents encore vivants, Blaise Compaoré demanda pardon, en son nom et au nom de tous ses prédécesseurs, à toutes les victimes et à leurs familles pour les violences politiques et les renvois injustifiés commis depuis l’indépendance du pays en ces termes (402) :

« Peuple du Burkina Faso, en cet instant solennel, en notre qualité de Président du Faso assurant la continuité de l’État, nous demandons pardon et exprimons nos profonds regrets pour les tortures, les crimes, les injustices, les brimades et tous autres torts commis sur des Burkinabè par d’autres Burkinabè, agissant au nom et sous le couvert de l’État, de 1960 à nos jours »
Blaise Compaoré

Un fonds d’indemnisation fut créé en faveur des familles des 106 victimes de violence politique identifiées depuis 1960, Thomas Sankara inclus. Chaque famille recevait 20 millions de FCFA (€ 30 490) comme indemnisation pour la victime, 2 millions de FCFA (€ 3 049) par veuve et 1 million de FCFA (€ 1 524) pour chaque enfant de la victime, soit en moyenne 30 millions de FCFA (€ 45 735) par victime. À cet effet, 4 144 091 108 FCFA (€ 6 317 626) ont été débloqués pour dédommager les victimes ou leurs ayants-droits. Au 30 avril 2009, 3 919 477 437 FCFA (€ 5 975 204) avaient été remis à des victimes (403).

Issue de l’Affaire Norbert Zongo : Marcel Kafando et le Sergent Edmond Koama furent condamnés à vingt années d’emprisonnement et le soldat Ousséni Yaro, à dix années d’emprisonnement. Un seul des six suspects identifiés par la Commission d’Enquête Indépendante fut reconnu coupable dans le cadre du meurtre de Zongo ; Marcel Kafando fut inculpé pour assassinat et incendie criminel en février 2001. Mais en juillet 2006, l’affaire fut rejetée pour manque de preuve, après qu’un témoin-clé eut retiré sa déposition sur laquelle reposait l’accusation.

L’Affaire Zongo permit d’ouvrir de nouveaux espaces de liberté jusqu’alors inexistants. L’organisation de la société civile fut améliorée, et les citoyens gagnèrent en assurance pour réclamer le respect de leurs droits (404). Il a également révélé la faiblesse du système judiciaire au Burkina Faso.

Durant l’ère Compaoré, le gouvernement a très peu interdit les manifestations et n’a jamais détenu de prisonniers politiques (405).

Par ailleurs, Burkina Faso fut le premier pays en Afrique où le président ainsi que les anciens présidents demandent pardon à toutes les victimes de violence politique depuis l’indépendance

Le rapport de la Commission d’Enquête Indépendante est consultable par tous sur Internet (406).

Accusations de soutien aux Forces Nouvelles en Côte d’Ivoire

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Avec le Président ivoirien Laurent Gbagbo à Ouagadougou, 2001

Compaoré fut parfois accusé d’avoir apporté son soutien aux rébellions qui secouèrent l’Afrique de l’Ouest, en particulier celle qui ébranla la Côte d’Ivoire voisine. La révolte des Forces nouvelles (FN) débuta avec la propagande ethnique menée par Laurent Gbagbo, alors en route vers le pouvoir suprême, contre les Ivoiriens du Nord et les Burkinabè (407). Dès lors, les tensions ethniques qui sévissaient depuis la fin des années 1990 s’envenimèrent.

Le 19 septembre 2002, des groupes de rebelles attaquèrent trois villes simultanément, dont Abidjan ; ils abandonnèrent cependant la capitale économique le jour même. Le 20 septembre 2002, la Côte d’Ivoire fut divisée entre les rebelles au nord, de confession principalement musulmane, et les loyalistes chrétiens au sud (408).

Dans son livre intitulé Wars, Guns and Votes, Paul Collier laisse entendre que Compaoré aurait également financé la milice armée Les Jeunes Patriotes de Gbagbo, lorsque ce dernier était encore leader de l’opposition car, selon Paul Collier, Compaoré était remonté contre le Président Robert Guéï à cause du parti pris xénophobe adopté, dans un revirement politique, par ce dernier (409).

La xénophobie et les conflits ethniques firent leur apparition dans les années 1990 lorsque l’économie ivoirienne, alors très dépendante des prix des matières premières, commença à s’affaiblir. Avant cela, la stratégie de croissance mise en œuvre par le Président Félix Houphouët-Boigny entre l’indépendance et 1980 reposait notamment sur l’immigration (410). Au début des années 1980, 40 % de la population active en Côte d’Ivoire était composée d’immigrants, dont une majeure partie de Burkinabè (411).

La crise commença en Côte d’Ivoire avec le décès de son président tout-puissant, Houphouët-Boigny (412). Un climat anti-Burkinabè s’installa alors et prit des proportions inquiétantes avec l’arrivée au pouvoir de Gbagbo (413). Crimes et humiliations devinrent le quotidien des Burkinabè résidant et travaillant depuis des générations en Côte d’Ivoire (414).

Avec plus de 3 millions de Burkinabè vivant en Côte d’Ivoire – les estimations de leur nombre variaient entre 15% et 25 % des 20,3 millions d’habitants en Côte d’Ivoire (415), Compaoré avait toute raison à œuvrer pour garantir leur sécurité (416). En 2003, le Premier Ministre du Burkina Faso Tertius Zongo annonça qu’entre 2001 et 2002 un exode massif de Burkinabè résidant en Côte d’Ivoire avaient regagné la patrie de leurs ancêtres (417). Les autorités burkinabè redoutaient le retour en catastrophe de plus de 2 millions de réfugiés risquant alors de déstabiliser l’un des pays les plus stables d’Afrique (418).

L’intervention de la France en Côte d’Ivoire, avec son dispositif militaire « Licorne », pour protéger ses 1 000 citoyens résidant sur place, ne fut jamais contestée par la communauté internationale (419). La communauté burkinabè, elle, dépassait les 3 millions de personnes. Le Président Compaoré ne pouvait pas rester immobile dans cette question de survie des Burkinabè et de son pays, que de forts liens historiques, culturels et économiques liaient à la Côte d’Ivoire (420).

Il prend les devants et le 4 mars 2007, le Président Laurent Gbagbo et le chef rebelle des Forces nouvelles, Guillaume Soro signèrent l’Accord Politique de Ouagadougou, négocié par Blaise Compaoré mandaté comme médiateur par la CEDEAO (421).

Suite à l’Accord de Ouagadougou, Guillaume Soro fut nommé premier ministre, un calendrier pour le processus de désarmement fut adopté et une carte nationale d’identité fut attribuée à chaque personne née sur le territoire (422).

Les compatriotes du Président Compaoré appréciaient beaucoup ses prises de position sur la crise en Côte d’Ivoire et sa popularité en sortit grandement renforcée (423). Déjà en 2002, après la tentative manquée de coup d’État en Côte d’Ivoire, Compaoré facilita le dialogue inter-ivoirien en apaisant les tensions politiques. Comme l’indiquait RFI en janvier 2003 (424) :

« Des dizaines de milliers de ses compatriotes étaient sortis le vendredi 24 janvier pour le soutenir et l’accompagner jusqu’à l’aéroport avant son départ pour le sommet de Paris sur la crise ivoirienne. Même scénario à son retour le lundi 27 où les Burkinabè lui ont encore réservé une haie d’honneur tout au long des deux kilomètres de l’avenue Kwamé Nkrumah, depuis l’aéroport jusqu’à la place des Nations Unies »
RFI, le 28 janvier 2003