1983-1987 La Révolution

Le Putsch de 1983 : Compaoré Installa Sankara

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Camarades révolutionnaires: Compaoré, Sankara, Lingani et Zongo

Très rapidement, le Président Ouédraogo et son Premier Ministre Sankara furent en désaccord. Les tensions qui opposaient les deux hommes s’envenimèrent alors que le premier ministre nourrissait le projet, à peine dissimulé, de prendre la place du président (103).

DATES IMPORTANTES

  • Avril 1983 : Compaoré fait la connaissance de Mouammar Kadhafi
  • 17 mai : Le Premier Ministre Sankara emprisonné
  • 19 mai : Compaoré organise la résistance et crée la République de Pô
  • 30 mai : Sankara et Lingani sont libérés
  • 15 juin : Compaoré quitte Pô pour Ouagadougou afin d’assister à une réunion de réconciliation avec Président Ouédraogo
  • 1er juillet : Compaoré appelle à un patriotisme révolutionnaire
  • 4 août 1983 : 5ème coup d’état et l’installation de Sankara comme président par Compaoré

Pendant cette période, Compaoré fit la connaissance de Mouammar Kadhafi lors du symposium sur le Livre vert révolutionnaire, à Tripoli. Kadhafi le présenta à un autre révolutionnaire : Jerry Rawlings alors à la tête du Ghana. Puis, plus tard Compaoré présenta Sankara à ce dernier en tant que prochain chef d’État, s’ils venaient à accéder au pouvoir un jour.

Dans la nuit du 17 mai 1983, des chars d’assaut encerclèrent la maison du premier ministre à Ouagadougou, et Sankara fut emprisonné (104).

Au même moment, Compaoré se trouvait à Bobo Dioulasso. Lorsque les hommes du Président Ouédraogo débarquèrent à deux reprises – à 2 heures et à 4 heures du matin – à son domicile pour l’arrêter lui aussi, il était déjà en route pour rejoindre le Centre National d’Entraînement Commando (CNEC) à Pô, où 500 hommes étaient sous ses ordres (105). Compaoré envoya une lettre au Président Ouédraogo pour lui signifier qu’étant donné que la Charte du CSP n’autorise pas le président à emprisonner son premier ministre, la rupture est consommée (106).

Compaoré, chef de la Résistance

Il fit ériger un panneau à l’entrée de la ville annonçant : « République de Pô ». Un bon nombre d’étudiants de l’Université de Ouagadougou rejoignirent Pô, qui devint le lieu de prédilection et festif des jeunes révolutionnaires (107).

Compaoré demanda le soutien de Rawlings. Dans un courrier qu’il lui adressa le 22 mai 1983, il lui annonça que s’il refusait de lui accorder son soutien, le Ghana devrait alors affronter seul le Togo et la Côte d’Ivoire, ses états voisins réactionnaires, ce qui provoquerait, à terme, une fin certaine de la révolution au Ghana. Compaoré put dès lors compter sur le soutien de la Libye et du Ghana pour fournir Pô en armes (108).

Un duel opposa Ouagadougou et Pô entre mai et août 1983. Compaoré obtenu la libération du Capitaine Thomas Sankara et d’un autre compagnon progressiste le Commandant Jean-Baptiste Lingani le 30 mai 1983 ; en outre, le chef d’État-major des Armées le colonel Yorian Gabriel Somé fut remplacé par le colonel Yaoua Marcel Tamini (109).

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Le capitaine Blaise Compaoré porté en triomphe, Pô, le 15 septembre 1983

Le 15 juin, Capitaine Compaoré quitta Pô pour Ouagadougou dans le but de participer à une réunion de réconciliation avec le Président Ouédraogo. Mais ayant été prévenu qu’un attentat se tramait contre lui dans la capitale, il retourna à Pô, puis repartit pour Ouagadougou, accompagné cette fois-ci par 50 hommes (110). Alors qu’il participait aux discussions de réconciliation, il distribua des tracts révolutionnaires parmi les officiers et les délégués militaires ; de nos jours, nous dirions qu’ils récoltèrent un grand nombre de « Like ». Rawlings lui conseilla de renforcer Pô ce que fit Compaoré. Puis, le 1er juillet 1983, il distribua de nouveau des tracts appelant à un patriotisme révolutionnaire.

Le 4 août 1983, armé par Kadhafi par le biais du Ghana, et avec 50 camions réquisitionnés sur le chantier de la compagnie privée canadienne, Lavalin, située près de Pô, Compaoré entra à nouveau dans la demeure du président, mais cette fois-ci, dans le but d’emmener Jean-Baptiste Ouédraogo avec lui (111).

Pendant le coup d’Etat, Sankara fut une nouvelle fois assigné à résidence. Il était prévenu de la préparation des évènements mais il ignorait le jour du lancement. Le 4 août 1983, Sankara arriva au pouvoir grâce à Blaise Compaoré et ses commandos de Pô (112).

1983-1987, Essor et déclin d’une révolution intègre

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Présidents Jerry Rawlings (Ghana) et Thomas Sankara (à droite)

Après le coup d’état, qui fut plus sanglant que par le passé, la violence politique se banalisa et une révolution historique se mit en marche (113).

Comme pour le coup d’état de Saye Zerbo en 1980, une majeure partie de la population supporta, dans un premier temps, cette action et le nouveau Chef d’État Thomas Sankara, appréciant notamment sa personnalité franche et peu orthodoxe.

Sankara et Compaoré étaient de jeunes hommes idéalistes et volontaristes qui aspiraient à redonner de la dignité et de l’espoir à leur pays (114). Ils changèrent son nom peu original et d’inspiration purement géographique, Haute-Volta, pour Burkina Faso, ce qui signifie le Pays des hommes intègres (115).

Afin de mobiliser les huit millions de citoyens et de les pousser à compter d’abord sur leurs propres forces, ils élaborèrent un programme de choc privilégiant la production et la consommation de produits locaux (116). Auparavant tristement célèbre pour son taux élevé de pauvreté, le Burkina Faso fut désormais connu pour sa révolution singulière, ce qui fit la fierté de bon nombre de ses citoyens.

Le « Conseil National de la Révolution » (CNR) organisa la vaccination de trois millions d’enfants en l’espace de trois semaines. De plus, sous son égide, 350 communautés construisirent des écoles de leurs propres mains (117). Le 3 décembre 1983, le CNR abolit tous les privilèges des chefs traditionnels (118). Les voitures de luxe, privilèges de l’ancien régime, furent mises en vente, et dorénavant tous les ministres durent voler en classe économique. En défenseur des droits des femmes, Sankara instaura les « journées de marché réservées aux hommes », pendant lesquelles les femmes n’avaient pas le droit de faire les courses, car c’était au tour des hommes de s’en occuper (119). Il interdit également la prostitution et ferma les boîtes de nuit.

Les idées de Sankara étaient spectaculaires, mais aussi souvent irréalistes et confuses (120) ; par exemple, en 1985 il décréta la gratuité des logements pour tous les habitants du Burkina Faso, et interdit l’importation de fruits et légumes. À cette époque, une grande partie des aliments provenaient de Côte d’Ivoire (121).

Sankara fut acclamé pour ses analyses pertinentes et hautes en couleur sur la pauvreté, le développement et l’ingérence « impérialiste » de puissances internationales dans les pays du tiers-monde ; mais il froissa bon nombre de ses pairs, et ses relations diplomatiques se détériorèrent rapidement (122).

«Tout ce qui sort de l’imagination de l’homme est réalisable par l’homme »
Thomas Sankara

Toutefois, ses programmes ne parvinrent pas à venir à bout de l’extrême pauvreté du pays. Les pays occidentaux se détournèrent progressivement du Burkina, bien que ce dernier restât très dépendant de l’aide internationale (123). Voir la vidéo sur Thomas Sankara.

1983-1987 : militarisation croissante et répression grandissante

D’emblée, tous les anciens politiciens furent interdits de politique, aussi minime leur engagement fut-il. Ils furent assignés à résidence, avec l’interdiction de recevoir plus de trois visiteurs à la fois (124).

En novembre 1983, le gouvernement nomma des Comités pour la Défense de la Révolution (CDR) pour agir localement au nom du Conseil Révolutionnaire. Ces comités omniprésents avaient pour mission de dénoncer toute personne jugée antirévolutionnaire, d’inspecter le travail des fonctionnaires, et de veiller à l’implication de chacun dans les champs (125).

Les CDR furent accusés d’abuser de méthodes brutales et violentes, d’humiliations publiques, de surveillances et de règlements de comptes (126). Ces milices civiles et leurs actions répressives marquèrent durablement les populations (127).

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Président Thomas Sankara (1983-1987)

Le « Sankarisme » commença les abus de pouvoir meurtriers et l’élimination physique qui se poursuivront au-delà de la révolution (128). Le Colonel Yorian Gabriel Somé fut exécuté le 9 août 1983 (129). Les « suppliciés de la Pentecôte », un groupe de militaires et civils, accusés d’un complot contre le CNR, furent tués le 11 juin 1984, un lundi de Pentecôte (130).

Les Tribunaux Populaires Révolutionnaires (TPR), troisième institution révolutionnaire après le Conseil CNR et les Comités CDR, avaient compétence pour juger les crimes et délits politiques, les menaces pour la sécurité de l’état, et les détournements de fonds publics. Les accusés ne pouvaient faire appel à aucun procureur ni avocat, et devaient assurer leur propre défense. Leurs procès étaient régulièrement diffusés en direct à la radio, ce qui était très humiliant pour les prévenus (131).

Les classes moyennes, et surtout les fonctionnaires, furent la cible de nombreux abus perpétrés par les TPR (132). Ces tribunaux prononcèrent le licenciement de plus de 2 000 fonctionnaires (133). Le 22 mars 1984, 1 300 enseignants du primaire, membres du Syndicat des enseignants (SNEAHV) sont licenciés après avoir fait grève (134).

Sous couvre-feu permanent, le Burkina Faso devint rapidement un pays dans lequel les droits de l’homme étaient bafoués, et qui ne respectait plus les libertés fondamentales d’association et de la presse. Aucun média n’était autorisé, à l’exception de celui appartenant à l’état (135). Le journal « l’Observateur » fut proscrit, et ses bureaux incendiés (136).